CEste vie a son cours inconstant & variable, & ses
evenemens sont incertains & tres-muables: C’est
ce que l’on appelle Fortune, qui, plus que toute autre cho-
se, est contraire à constance & raison: & non seulement
elle est aveugle, mais aussi prive de veüe ceus sur lesquels
elle exerce son pouvoir, les desnuant de prudence & de
jugement. Il seroit fort difficile de rendre conte des cau-
ses pour lesquelles elle exalte les meschants, & deprime
& rabaisse les gens de bien: Entre ses mauvaises condi-
tions, elle a de coustume d’enfler de presomption & d’or-
gueil ceus qu’elle pourvoit d’estats & de dignitez: Et qu’
ainsi soit, il n’est rien plus intolerable que l’indiscret, à
qui elle rid. Quant à son aveuglement, il paroist en ce qu’
elle ne regarde à la rencontre, & ne fait aucune juste ele-
ction pour bien ou mal faire: ains souvent confere ses pre-
sents à personnes indignes, gratifiant ou disgratiant à l’ad-
venture qui bon luy semble. Pareille au verre, qui fresle
esclatte en lueur, mais qui se casse aisémént quand on le
tient, de rencontre facile, mais de tres-difficile retenue,
n’ayant rien de constant & asseuré que son inconstance
& volubilité: Des biens de laquelle il faut user, & n’en
point abuser, avec ceste attente, qu’elle renversera de-
main aus abismes ce qu’aujourd’huy elle aura eslevé au
sommet de felicité. Elle n’est jamais plus à craindre que
lors qu’elle se jouë gracieusement avec nous: C’est pour-
quoy le sage qui desire avoir son ame en repos la mespri-
se, & sans trouble d’esprit la supporte egalement, soit qu’
elle se rende benigne, soit qu’il la trouve farouche.

Lors que fortune rid, & que plus favorable
Elle nous vient flatter de l’offre de ses dons,
Tenons nous en cervelle; & souples nous gardons:
Car c’est lors qu’elle doit estre plus formidable.
Ne rejettons pourtant sa faveur amiable,
Ains quand elle nous l’offre il nous en faut jouir:
On la peut recontrer, mais non la retenir,
Ny boucler par conseil sa fuitte inevitable.