
OU DEVISES
CHRESTIEN-
NES.
Composees par Damoiselle
GEORGETTE
DE MONTENAY.
Par Jean Marcorelle.
M.D.LXXI.
Avec Privilege.

PAR lettres patentes du Roy, donnees à Paris
le dixhuitiéme jour d’Octobre, mil cinq cens
soixante six, signees, Par le Roy à vostre re-
lation, Camus, & seellees du grand seel
dudit Seigneur en cire jaulne sur simple queuë: est per-
mis à Philippe de Castellas demeurant à Lyon, de faire
imprimer en telle marge & caractere que
bon luy sem-
blera, & mettre en lumiere, & distribuer par tel impri-
meur, ou libraire qu’il voudra nommer & choisir, un li-
vre intitulé, Cent Emblemes, ou Devises
Chrestiennes, compo-
sees par Damoiselle Georgette de Montenay: & par
mesmes lettres patentes est permis à Pierre Woeriot
sculptur du Duc de Lorraine, de pourtraire, graver &
tailler en cuivre & taille douce les figures desdicts em-
blemes, jusques au temps & terme de cinq ans. Est inhi-
bé & defendu à toutes autres personnes de quelque
qualité qu’elles soient, d’icelui imprimer ou faire impri-
mer, ne tailler lesdictes figures, les exposer & mettre en
vente sans le consentement dudict Castellas, sur peine
aux contrevenans de confiscation du livre, d’amende
arbitraire & de tous despens, dommages
& interestz
envers les parties, comme plus amplement est declairé
ausdictes patentes.

ET VERTUEUSE
PRINCESSE
MADAME JEANNE D’AL-
BRET, REINE DE NA-
VARRE, GEORGETTE
de Montenay hum-
ble salut.
EN rougissant, voire & tremblant de crainte
De ne pouvoir venir à mon atteinte,
Je prin en main la plume pour escrire
Ce que ne peux assez penser ne dire:
Dont me voy pres d’une juste reprise,
Si je poursuy si hauteine entreprise,
De commencer & ne parfaire point.
Il est meilleur de ne s’en mesler point,
Dira quelcun plus que moy avisé:
Mais bon vouloir n’est jamais mesprisé,
Combien qu’il soit tant seulement utile
Lors que l’effect luy est rendu facile.
Regardant donc ma foible petitesse,
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Et l’approchant de la haute hautesse
De voz vertus, (ô Princesse bien nee)
Je per le coeur, ma Muse est estonnee,
Combien que j’ay la plume encor en main.
Mais pour tel faict travailleroit en vain:
Car beaucoup moins voz vertus immortelles
Pourrois nombrer que du ciel les estoilles.
Par force donc suis contreinte me taire,
Pour n’estre pas ditte trop temeraire,
Laissant traitter voz vertus magnifiques
Aux excellens poetes angeliques,
Qui toutesfois n’ont pas meilleur vouloir:
Mais trop je sen debile mon pouvoir.
Ce neantmoins tant que vive serai,
Par mes escrits en vers confesserai
Que l’Immortel de vous faisant son temple
Vous façonna pour estre à tous exemple,
Et vrai pourtraict de son image saincte
Que lon contemple en reverence & crainte.
Il n’a voulu d’un seul don vous pourvoir,
En vous faisant Reine de grand pouvoir,
Acquerir los, voire plus haut qu’en terre:
Mais a rempli vostre vase de terre
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De ses tresors en nombre non nombrable:
Et c’est ceci que je tien admirable,
Recognoissant ce qui en vous reluit
N’estre de vous, ains de Dieu qui y mit
Une foy vive qu’en vous il a plantee
Pour par icelle en son fils estre entee,
Comme les fruicts en rendent tesmoignage,
Quand avez fait que maint bon personnage
Est recuilli doucement en voz terres,
Et les Chrestiens recevez de bon vueil.
C’est au seul Christ que faites tel acueil.
Car quand les Rois ne les peuvent souffrir,
Vous leur venez biens & païs offrir,
Voire à celui lequel à Christ s’avouë
Sans s’espargner. Donc force est que j’avouë,
Que l’Eternel en vous a fait merveille.
Dames ouyez, chascune se
reveille
Pour contempler en joye & en liesse,
Les faitz de Dieu envers une princesse.
Veuillez de cueur ses graces recognoitre,
Et ainsi qu’elle il vous fera renaitre
En sainteté, justice, & cueur humain.
Car tous ces dons sont tousjours en sa main
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Pour sur les siens par son fils les espandre.
D’autre costé ne vous faut rien attendre.
Ce n’est qu’abus, mensonge, tromperies,
Où nous avons trop noz ames nourries.
Ne souffrez plus, damoiselles gentiles,
L’esprit rené vaquer à choses viles:
Ains employez l’à mediter les faits,
Et faire escrits de cil qui nous a faits,
Et qui nous veut à lui par Christ unir,
Si nous voulons à lui par foy venir.
Or quant à moy (Princesse) j’ay courage
Vous presenter ce mien petit ouvrage:
Et craindrois fort devant vous l’approcher
S’il vous plaisoit le voir & eplucher
Au grand midi de vostre oeil clair-voyant,
Soit demi clos plustost humiliant
Pour regarder chose si mal limee,
Mal à propos & sottement rimee.
Encor à vous les fautes paroistront
Qu’au plus beau jour autres ne cognoistront.
Vostre bonté mon imperfection
Couvre, en prenant ma bonne affection.
Car si j’enten qu’y ayez pris plaisir,
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Lors sentiray m’accroitre le desir,
De travailler à quelque autre oeuvre faire
Qui vous pourra plus que ceste-ci plaire,
Que j’entrepren non par temerité,
Mais pour fuir maudite oisiveté,
Qui de tout vice est la droite nourrice.
Pensant aussi qu’il sera bien propice
A mainte honneste & dame & damoiselle
Touchees au coeur d’amour saint & de
zele,
Qui le voyans voudront faire de mesmes,
Ou quelqu’autre oeuvre à leur gré plus qu’Emblémes:
Que toutesfois pourront accommoder
A leurs maisons, aux meubles s’en aider,
Rememorans tousjours quelque passage
Du saint escrit bien propre à leur usage,
Dont le Seigneur sera glorifié,
Et cependant quelcun edifié.
Mais quant à vous (las, ma Dame) je n’ose
Vous dire rien de si petite chose.
Petit, je dy, ce qui est de ma part:
Grand en cela qui vient d’où le bien part.
Si vous sentez qu’il gratte trop la rongne
A qui a tort, contre Verité grongne,
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Pardonnez moy: le temps le veut ainsi,
Et verité m’y a contreinte aussi.
Car ce fol monde ignorant se consomme,
Et ne se veut point reveiller nostre homme.
Donques afin que nous le reveillons,
Ces cent pourtraitz serviront d’aguillons
Pour reveiller la dure lascheté
Des endormis en leur lasciveté.
Alciat feit des Emblémes exquis,
Lesquels voyant de plusieurs requis,
Desir me prit de commencer les miens,
Lesquels je croy estre
premier chrestiens.
Il est besoin chercher de tous costés
De l’appetit pour ces gens desgoustés:
L’un attiré sera par la peinture,
L’autre y joindra poësie &
escriture.
Ce qu’imprimé sera sous vostre nom,
Lui donnera bon bruit & bon renom.
Or tout le but & fin ou j’ay pensé
C’est le desir seul de veoir avancé
Du fils de Dieu le regne florissant,
Et veoir tout peuple à luy obeïssant:
Que Dieu soit tout en tous seul adoré
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Et l’Antechrist des enfers devoré.
Et vous (ma Dame) en qui tout bien abonde,
Miroir luisant & perle de ce monde,
Qui me daignez faire si grand honneur,
Que recevoir ce mien petit labeur,
Combien que soit de voz grandeurs indigne,
Est de l’honneur & service le signe
Que je vous doy, & preten de vous rendre
Toutes les fois qu’il vous plaira le prendre.
Je ne puis rien augmenter par priere
Vostre grandeur et vertu singuliere.
Vous devez donc en toute obeissance
Vous contenter de Christ, qui jouissance
De ses tresors vous a voulu donner,
Lesquelz n’avez voulu abandonner.
Je requier donc pour fin de ce propos,
Qu’apres voz jours entriez au vrai repos.
Vostre treshumble & tresobeissante
Subjette, vraye &
fidele servante
Que de nommer honte n’ay,
Georgette de Montenay.

Amis lecteurs, je ne prendray grand peine
Pour excuser ma rude & sotte veine,
Sachant que ceux qui ont coeur vertueux
Ne me voudront estre si rigoureux
De n’excuser le sexe feminin,
D’un coeur courtois, & d’un vouloir benin.
Mais ceux qui sont plus amis d’ignorance
Que de vertu & de vraye science,
Je voy desja de coeurs envenimez
Jetter sur moy leurs charbons allumez.
Mais j’ay espoir, que leurs brocards & rage
Ne me feront aucun mal ny dommage,
Et ne pourra leur malice engarder
Le simple & doux de lire & regarder:
Voire en notant d’esprit gentil & fin
De chasqu’Emblésme & le but & la fin.
Ce qu’ayant veu, il luy sera notoire
Que je ne quier que du seul Dieu la gloire.
Je say aussi que plusieurs voudront faire
Ainsi qu’aucuns, desquels ne me veuil taire,
Qui vont ouïr, ce disent-ils, le presche,
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Mais plustost vont lácher leur langue
fresche,
Pour dechiffrer l’un l’autre à qui mieux mieux.
L’un dit ainsi, Le prescheur clost les yeux,
L’autre les ouvre, ou fait semblant de choir,
L’autre dit bien, mais il crache au mouchoir.
L’un bransle trop le col, l’autre la main.
Pour telles gens lon se travaille en vain,
Le sainct parler ne leur bat que l’oreille,
Endurcissant leurs coeurs gros à merveille.
Je m’atten bien que de mesme feront
Quand ces chrestiens Emblémes ils liront.
Comme desja j’ay veu en ma presence,
Que, sans avoir egard à la sentence,
L’un une mine ou quelque chappeau note
Qui seroit mieux faict à la huguenotte:
L’autre me dit, que pour vray amour feindre,
Ne le devois en ceste
sorte peindre.
J’y consen bien: mais cestui ancien
Tiendra ce lieu tant que j’aye veu le sien.
Je l’enquis bien de quelqu’autre maniere:
Mais sa response est encores derriere.
Je say qu’aucuns entre les anciens
Ont figuré amour par des liens:
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Mais en ceci il n’eust pas convenu,
Puis que tout est par amour soustenu.
Il faut qu’il ait mains pour tout soustenir:
Non pas qu’il fale à tel erreur venir,
Dire que Dieu ait mains, ni corps aussi.
Dieu est esprit qu’on ne peut peindre icy.
Ce vray amour, ou charité en somme,
Que Dieu aussi saint Jean proprement nomme,
Est cestui-là duquel j’enten parler,
Non Cupido qu’on veut faire voler.
Cest amour tient le monde en sa puissance
Et conduit tout par sa grand’ providence.
Or volontiers prendray correction
Des vertueux pour l’imperfection
Qu’en ce livret & autres oeuvres miennes
Se trouveront, fors des oeuvres chrestiennes
Qui bon accord auront & convenance
Aux livres saincts, de Dieu la sapience.
Je ne pensois quand j’entreprin d’escrire,
Que jusqu’à vous il parvinst pour le lire:
Ains seulement estoit pour ma maison:
Mais on me dit que ce n’estoit raison,
Ainsi cacher le talent du Seigneur
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Qui m’en estoit tresliberal donneur.
Ainsi conclu, crainte chasser à part,
Et vous en faire à tous comme à moy part:
Vous suppliant, si rien vous y trouvez
Qui ne soit bon, que ne le recevez,
Et m’excuser en fin. Or pour à Dieu
Prenez le bon, donnez la gloire à Dieu.

de Montenay, Autheur du Livre, son humble
serviteur Salut.
De l’Eternel le vueil non content seulement
De t’avoir (ô Georgette) asses abondamment
Orné & enrichi de ses dons precieux,
Et de graces lesquelles on voit aux vertueux:
Pource faire cognoistre ici bas en tout lieu
Aux Chrestiens zelateurs de la gloire de Dieu,
Il a voulu & veut, cent emblémes Chrestiens
Estre mis en lumiere: tu les peux dire tiens.
Tiens, je di, pour ce que l’invention est tienne:
Laquelle, en les lisant, on cognoistra
Chrestienne:
En cela plus louable, & aussi l’inventeur,
Que non du fabuleux & la fable & l’auteur,
Comme on veit jadis à l’embléme ancien,
Duquel et la figure et le sens n’avoit rien
De Chrestien dedans soy. Ceux donques qui liront
Ce Chrestien livre ici, l’Eternel beniront:
Ton zele loueront, & pourront prendre envie
D’ainsi faire, & de suivre ce qui mene à la vie.
P. D. C.


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