
SONNET.
L’excellent bruit, la renommee heureuse
Que l’Eternel te donne en terre & cieux,
Fait de despit crever tes envieux:
Mesme Satan de rage
impetueuse
Qui voltiger fait la langue menteuse,
Jettant sur toy ses traits pernicieux.
Mais Dieu ton Dieu, en bref devant tes yeux
T’en vengera de façon merveilleuse.
Console toy donc, ô Reine, au Seigneur,
Qui de Satan rejette la louange.
Si le mauvais dit bien du bon, estrange
Est bien tel loz, & tourne à deshonneur
Leur blasme aussi te rend en plus d’honneur.
Lumiere en terre, au ciel gloire d’Ange.
Tant que la veüe en terre tien baissee,
Soit pres, soit loing, tout m’apporte douleur:
Tout m’est espine en ce monde. & c’est l’heur
De ceux qui ont Verité embrassee,
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De voir ainsi l’innocence oppressee,
Le coeur deffaut, la chair en a horreur,
L’esprit se deult du triomphe d’erreur.
Mais aussi tost que ma veüe a haussee
Le Tout-puissant, vers sa face benigne,
En transperçant la vouste cristaline,
Tirant à soy pensee, esprit, & coeur:
Si forte suis par sa force divine,
Qu’en moy se voit sur mes picants vainqueur.
Ainsi me fait assoir sur mon espine.
Le Tout-puissant est mon fort en tout lieu.
Plus seure suis au milieu de destresse
Que nul guerrier en ville ou forteresse.
En tous assauts je me repose en Dieu.

de Monseigneur le Prince de Navarre,
sur l’envoy des six sonnets suyvans.
Si le Soleil ne se souille ne tache,
Quand ses rayons touchent à quelque ordure,
Vostre oeil tant clair & vertu ne se fasche,
Lisant les vers de rithme sotte & dure.
Vostre vertu au compas les mesure
De Charité, puis qu’ils sont parvenus
Jusques à vous pour recevoir censure,
Le riche doit la robbe aux povres nuds.
Ce fut aux jours noircis d’iniquité
Qu’au haut degré assise estoit malice,
Que Dieu ça bas envoya sa justice
Embrasser foy, & la divinité,
Prendre & vestir la nostre humanité,
Pour l’eslever en purgeant son escume.
O homme ingrat qui encores presume
Que ton merite attire sa bonté!
Ignores-tu que mort est ton salaire?
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Sa charité (sans toy) l’honneur emporte
Que luy rendons encores
aujourd’huy.
Car en tel poinct nostre
nuict il esclaire
Par sa parole, & faveur qu’il nous porte,
Qu’il regne en nous, & nous vivons par luy.
L’arbre fourchu, qui sa racine mole
Met contremont comme tombé des cieux,
Produit son fruict tresagreable aux yeux:
Mais qui en use, il se perd & affole.
Le coeur il enfle, & se prend comme cole
Au povre esprit, qu’il rend si vicieux,
Aveugle, & sourd, pesant, & paresseux,
Qu’ainsi surpris s’endort dessous ce pole
Sans nul souci de son bien demander.
Donc quel remede à tel arbre amender,
Si qu’estant bon les fruicts semblables rende?
Retranché soit & au plus haut enté
Au bon fruictier de la saincte cité,
Sinon le feu eternel le demande.

Qui cueult les fruicts de l’arbre qui les donne
Par chacun an du moins septante fois,
Pas ne sont ceux que Christ des petis fouets
Chassa du temple. A tels Dieu n’abandonne
Ces fruicts sacrés, n’a l’ingrate personne,
Avare, infame, & contempteur des loix,
Qui d’un seul coeur fait des pars plus de trois.
Mais ce sont ceux qui d’affection bonne
Leur vie, & bien, grandeur, paix, & vigueur,
Cherchans en Christ de vie arbre & racine,
Fleur, fueille, & fruict,
cueillent pour medicine
Basme certain pour oster leur langueur.
Bref, cil qui veut prosperer en long heur,
Mange ce fruict, tout autre à mortel signe.
Le Createur de toute creature
A tellement compassé son ouvrage,
Que nul ne peut usurper davantage
Que ce qui est donné à sa nature:
Beste, vollaille, & l’homme en terre dure,
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Il a posés comme en propre heritage.
Oyseaux en l’air chantans luy font hommage:
Poissons es eaux trouvent leur nourriture.
Tout comme il peut recognoit son facteur,
Fors l’homme ingrat, ne le voulant cognoistre.
Veut voltiger en l’air sur les oyseaux:
Mais retenu de lourde pesanteur,
Comme un poisson nageant entre deux eaux,
Confus en soy monstre
qu’il cherche maistre.
Qui prend la rose en la piquante espine
Sans se piquer, est loüé de prudence.
Qui constamment traverse en asseurance
Le mal caché sous ceste grand’ courtine
Sans se souiller, de double honneur est digne.
Mais un qui court ayant au poing la lance,
Et pres du but reculle & desavance,
Peut-on avoir d’un plus láche coeur signe?
Las, que peut-on d’un tel couard penser?
Qu’il a ce fait pour autruy avancer.
On oyt par trop ainsi parler maint homme,
Qui au couvert veut estre dict fidele:
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Mais cependant contrefait la chandele
Qui en servant à autruy se consume.
Comme le vent poussant par violence
L’onde en la mer, luy fait plus embrasser,
L’ambitieux tant plus veut amasser
Que presenter on luy peut d’abondance.
Las, pourquoy l’homme en ce poinct ne s’avance
Au bien que mort ne sauroit offencer?
Grans dons divins on void par nous passer,
Et si petit le nombre qui y pense.
Ne cuidons pas que telle ingratitude
Ne couvre en fin l’homme de turpitude.
Le trop cuider l’homme si vain deçoit.
Si à propos en la saincte Arche n’entre,
Sous l’onde noire entrera jusqu’au centre.
Le fol ne croit jusqu’au jour qu’il reçoit.

SERVATION DU PRE-
SENT LIVRE.
J’Ay veu sous le Soleil combatre deux montaignes,
Chevaux & gens armés tout couvrir és campaignes:
La pale faim, la peur, la peste, & les
tempestes,
Estonner les plus forts, les oyseaux, & les bestes,
Et le bras estendu de Justice divine,
Frappant sur les humains d’une si fiere mine,
Que le plus mol cheveu de la teste bien faicte
Se herissoit en l’air plus droit qu’une sagette.
L’immobile element & sa blanche ceinture
Ont peu voir lors couvers
de vermeille teincture,
Les ruisseaux de pitié distiller goutte à goutte
Des yeux tesmoins du coeur, qui esperance toute
Fiche au roc souverain, dompteur de toute force,
Qui de ceux est prochain qu’angoisse ou travail force,
Comme tout oeil a veu jadis, et voit encore,
Delivrant de sa main le peuple qui l’adore.
Et ne faut rechercher l’histoire Egyptienne:
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Asses de preuve avons beaucoup moins ancienne.
Venons donc à la cause & but de ces combats,
Et qui sont ces montaignes bataillans icy bas.
L’une la plus superbe a nom Iniquité,
Enflee & orguilleuse, adverse à pieté,
Liberale & commune à departir le sien,
Que l’homme fol reçoit comme un hoste ancien,
Qui l’abat, mange, & tue, avant que le sentir,
Et si ferme son huis pour ne le voir sortir.
L’autre est ardant amour, d’odeur & fruicts si riche,
Que plus elle enrichit de son bien le plus chiche.
L’une & l’autre a le don de liberalité:
Chacune ce qu’elle a donne en proprieté:
Mais au profit des dons y a grand’ difference.
Car de l’une les fruicts sont de belle apparence,
Puis les ayant mangés font si aigre dentee
Qu’en pleurant on maudit l’ente & qui l’a entee.
Ce que l’autre vous donne icy bas à manger,
A quelque peu d’amer: mais il est sans danger.
Car bien gousté qu’il
soit, il est si savorable,
Qu’il rend le mengeur sain à vie perdurable.
Les fruicts du mont inique ont causé ceste guerre,
Et fait ce mont ardant des cieux descendre en terre
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Pour abatre l’orgueil, la rage & dureté
Du mont fumeux d’orgueil, hayne & impureté,
Qui se cognoissant bien sur le poinct de crever
Rassembloit ses subjets, ne pouvant paix trouver
En terre, en mer, en soy, en la mort, ou enfer.
Ses eschelles dressoit pour du ciel triompher,
Quand ce mont embrassant, non les neuf soeurs seulettes,
Mais tout en tout ça bas sus et sous les planettes,
Entreprit le combat contre l’autre orguilleux,
Et malgré nous, pour nous en fut victorieux.
Je dy donc malgré. car nostre mal flatant
Courions comme enragés nous mesmes combatant.
En ce combat mortel le monde accompaignoit
Sous mont de mal, Hidra qui ses testes plaignoit.
Riches, puissans & forts, foibles & courageux
Couroyent sous l’estandart de ce monstre fangeux,
Fors aucuns, qui cachez estoyent en petit nombre,
Sous le bouclier de Foy, retirés sous son ombre.
La bataille fut fiere, & pire à
soustenir.
Ce qui restoit encor de
mal à l’advenir.
A quoy la providence
& infallible soin
Du pere sur tous bon, survint à tel besoin,
Envoyant de son sein, mont d’amour sur la terre,
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Qui le mont de peché confont, brise & aterre:
Si que tombant en bas creva par le milieu,
Espandant ses entrailles sur la terre en maint lieu,
Dont ce monde est souillé, qui encore se cache
Sous le manteau obscur qui couvre mainte tache.
O que mieux est couvert, si bien que je m’en recorde,
Qui est sous le manteau de ta misericorde,
O puissant Eternel! ce que nuict a couvert,
Par le jour la suivant est soudain descouvert.
Et cela qu’une fois ton manteau a caché,
Comme n’estant n’appert, dont n’est pas reproché.
Or tout ainsi est seur qui se tient sous ta garde,
Soit tout glaives, & feux, de perir il n’a garde.
Ainsi (petit livret) qui me tiens en ton sein,
Celui te delivra par sa benigne main,
Duquel chantes le los & annonces la gloire.
Quand mont d’amour ça bas eut si belle victoire,
En sa main estoit lors qu’il te fit
desloger
Du pavillon de Mars, & en sainct lieu loger.
Encores te gardoit quand tout autour de toy
La peste environnoit, fors l’homme plein
de foy,
Qui te prise & cherit non moins que son propre oeil,
Et qui en te perdant n’eust pas eu moins
de dueil
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Que de voir au tombeau emporter pere &
mere
Accompaignés de six domestiques. ô pere
Des bienheureux vivans & de ceux que retire
Ta main de ces bas lieux, à cestuy qui souspire,
Vueille envoyer d’enhaut la Consolation,
Remunerant du tien la saincte affection
Qu’a ce tien serviteur en l’oeuvre qui te louë,
Qui manifeste aussi ce que mon coeur te vouë.
Par ton amour tu as toute chose creé,
Tu nous as racheté, nourri & recreé.
Ton amour nous soustient, nous assiste et delivre.
Par luy reçoy,
Seigneur, & mon ame & mon livre.
Amour seul fait tout sans peine,
Commence, conduit, parfait.
Puis donc (livret) qu’il t’a faict
GAGE D’OR TOT NE TE MEINE.[1]

Vous émerveillez vous comme je suis si grasse,
Moy qui en mesme instant en tant de lieux tracasse,
Que la terre se deult de me tant soustenir,
Sentant prochain le mal qui par moy doit venir
Sur ce monde sotard, qui me suit & adore,
Qui m’engraisse & me susse, enrichit et
honnore?
Au repas que je pren, quoy qu’il semble petit,
Je les devore tous, & n’en pers l’apetit.
Tousjours suis affamee, & ouverte ma poche,
Pour engloutir tout vif qui pres de moy approche.
Je les gobe en riant plus subtil que la mouche
Prise du passereau, sans avoir craint la touche.
Mais cependant sachez qu’à grans
tropeaux j’alaicte
D’Epicure les porcs, de ma mamelle infaicte,
Inutile ne suis, si tout on considere.
J’enrichy de l’autruy qui me sert & adere.
Le riche j’appovri, le ventre plat j’engraisse.
L’avare liberal je ren par ma promesse.
Je destrui l’orphelin, la vefve je moleste,
Je gueri de tous maux: mais je donne la peste.
Mon aleine a ce bien, que qui s’approche d’elle,
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Soudain elle empoisonne, & le coeur & cervelle.
Je suis la medicine, ou emplastre à tous maux:
A quoy me voulez vous? je fay tout droit ou faux.
Humide, & seiche suis, grande, petite, & ronde,
Loyalle à un mary, commune à tout le monde.
Comme un oignon vestue en yver & esté,
Ainsi diverses peaux couvrent ma chasteté.
De plusieurs suis haïe & de plusieurs aymee.
Dechiree des uns, des autres estimee.
Aucuns pour me fuir ont quité leurs maisons,
Plus aymant les tormens de diverses façons,
Voire une mort cruelle voulu plustost souffrir,
Qu’un seul honneur me rendre ou bien petit m’offrir.
Autres me donnent plus que pour eux ne faudroit,
Ma querelle embrassant, soit à tort, ou à droit.
Mais nul pour mon amour ainsi que pour ma haine
Ne voulut endurer la mort de telle peine.
Le bien qu’ils ont de moy m’ayant bien
soustenue,
C’est que de ma beauté peuvent avoir la veuë.
A l’heure du repas & petit proumenoir,
Qu’au matin m’est promis et non jamais au soir.
Ma beauté n’est egale à Heleine de Troye,
Combien que plus pour moy de beaucoup on guerroye.
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Mais ma pompe & folie, abus & fauceté
La surpasse bien tant que jour d’obscurité.
Je vay, je vien, je cour, je fay crainte aux humains,
Et n’ay glaive ou couteau, teste, bras, piez ne mains.
Je n’ay faveur au [=aux]
cieux, rien ne suis en la terre,
Fors ce que veut l’ignare & l’abus qui l’enserre.
De vieillesse je suis plus grise que sandree,
Plus vieille de mille ans que qui m’a engendree.
Selon qu’on croit & tient, j’ay peres à foison,
Devine qui voudra. Voicy mieux ma façon,
A la vuide vessie on me peut comparer,
Que l’homme enfle et accroit tant
qu’elle en peut serrer:
Mais donnant lieu au vent la rend si vuide et nue
Comme me voit qui sait dont premier suis venue,
Qui a enflé mon corps, corps sans ame je dis,
Qui m’entretient encor & me soufla jadis.
Qui à l’oeil droit ouvert l’aureille desbauchee
Au lict mortel me voit, & ceste desbauchee
Qui m’engendra au temps ennemy de lumiere,
De son amy Pluton aupres d’une chaudiere.
Cachee sous le manteau de la chaste pucelle,
Unique fille & soeur de Christine la belle.
Sous ce mesme manteau long temps je fu cachee:
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Mais depuis quelques ans aucuns m’ont descachee.
Si qu’on me prise moins qu’une petite estule
Diminuee du vent, voire moins qu’une bulle.
Ce nonobstant, je tien en crainte encor les Rois,
Leur septre assubjeti, retrein leurs
loix et droicts.
De leurs peuples je pousse & enfle tant le coeur
Qu’il presume par moy estre sur eux vainqueur.
Que si on me chassoit, librement pourrois faire
Serment à autre Roy qui me voudroit complaire.
Ainsi par faux semblant mainte gent me cherit,
Qui contre mon vouloir m’entretient & nourrit.
Et pour leur payement le coeur leur darde et point
D’un dard qui les rongeant ne les soulage point.
Bref, malheur suit celuy qui m’ayme, sert et suit.
Heureux qui servant dieu m’acable, et me poursuit.
Car en m’aimant, aymé de
Christ nul ne peut estre.
Or devinez mon nom, ma source, et de mon maistre.
FIN.
2. This is an anagram of Georgette de Montenay.
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